dimanche 31 juillet 2016

Enjeux du projet de Loi 106

Le projet de loi sur les hydrocarbures : enjeux pour l’environnement, la société et la démocratie, les municipalités et les citoyens et citoyennes
Richard E. Langelier
Docteur en droit (LL.D.) et sociologue
©Juillet 2016
I. Ouverture
Le 7 juin 2016, en toute fin de la session parlementaire, le gouvernement du Québec déposait le projet de loi 106 intitulé Loi concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives. Ce projet de loi édicte, à son chapitre IV, la Loi sur les hydrocarbures.
Le présent document tente de présenter les faits saillants et principaux enjeux qui découlent de cette proposition législative et ce, tant pour l’environnement, la société et la démocratie, les municipalités que pour l’ensemble des citoyens et citoyennes.
Le présent texte complète l’analyse préliminaire que nous en avions réalisée de ce projet de loi1 ainsi que la présentation audio-visuelle qui est aussi disponible sur le réseau Youtube2.
II. Enjeux pour l’environnement
Ce projet de loi soulève d’abord des enjeux environnementaux importants. L’un des principes cardinaux de cette proposition législative est d’inscrire l’engagement du Québec dans le développement des hydrocarbures sur son territoire comme étant une mesure qui s’inscrit pleinement dans la transition énergétique rendue nécessaire par la détérioration du climat et les objectifs ambitieux de réduction des gaz à effet de serre (GES) découlant de la politique énergétique du Québec.
L’article premier du projet de loi énonce ainsi cet objectif :
1. La présente loi a pour objet de régir le développement et la mise en valeur des hydrocarbures tout en assurant la sécurité des personnes et des biens, la protection de l’environnement et la récupération optimale de la ressource, et ce, en conformité avec les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre établies par le gouvernement.
Il s’agit là d’une contradiction évidente et insoluble ne pouvant être dénouée et résolue : s’engager dans le développement des hydrocarbures implique des investissements publics majeurs dans des infrastructures, la mise en place de politiques favorables à ce développement et, in fine, le sacrifice de territoires et de régions entières.
En effet, il importe de signaler que le Québec ne disposant pas de gisements conventionnels d’hydrocarbures, leur extraction implique l’usage de techniques comme la fracturation hydraulique, les forages horizontaux ou le nettoyage à l’acide (appelée « complétion » dans le projet de loi3) présentant des risques
1 Voir Richard E. Langelier, Loi concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives, Document de travail : Résumé et analyse préliminaire, juin 2016, 23 p.
2 Voir https://www.youtube.com/watch?v=aM1W8rbEyKo
3 La complétion est définie comme pouvant être la stimulation physique, chimique ou autre d’un puits gazier ou pétrolier. Voir l’article 80 du projet de loi.
majeurs pour l’eau potable, la santé publique et le développement pérenne des communautés4.
De fait, au-delà d’une rhétorique, qui relève de la manipulation, et de sophismes, qui résistent mal à une analyse rigoureuse, il convient de signaler que les projets envisagés ou en cours au Québec présentent un bilan carbone non négligeable. Comment, par exemple, concevoir que la mise en place envisagée de milliers de puits de pétrole ou de gaz de schiste sur l’île d’Anticosti, en Gaspésie ou dans le Bas-Saint-Laurent n’auraient qu’un résultat insignifiant du point de vue de l’émission des gaz à effet de serre ?
Par ailleurs, le projet de loi n’accorde aucune protection particulière aux milieux marins et aux petits cours d’eau, qui alimentent pourtant nos rivières et notre fleuve, menaçant de ce fait la biodiversité et nos fragiles écosystèmes5.
III. Enjeux pour la société et la démocratie
Les enjeux pour l’ensemble de la société sont aussi très importants. Pour illustrer cette affirmation rappelons que :
1. Le projet de loi prévoit dans un grand nombre de dispositions que les normes et standards seront fixés par règlements et décrets administratifs6, ce qui constitue un transfert des compétences et pouvoirs des parlementaires vers l’Exécutif, les règlements étant décidés uniquement par le Conseil des ministres7.
2. Les normes relatives à l’exploration, la production et le stockage des hydrocarbures sont définies par les seules sociétés et compagnies engagées dans cette filière et remises dans leurs seules mains, puisque ce sont les supposées « meilleures pratiques » développées par ces sociétés et compagnies qui serviront de guides et de standards8. Cette autorégulation des compagnies engagées dans la production et le transport des hydrocarbures a provoqué la multiplication des déversements,
4 Voir Marc Brullemans, Marc Durand, Richard E. Langelier, Céline Marier et Chantal Savaria, Le règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection ou comment sacrifier l’eau potable pour quelques gouttes de pétroles, janvier 2016, 156 p.
5 Voir les seules exceptions prévues à l’article 11 du projet de loi.
6 On compte une centaine de dispositions qui prévoient que les règlements fixeront les normes applicables.
7 La publication par la suite d’un projet de règlement amendant le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains est loin de contredire cette affirmation, ce projet ne couvrant qu’une partie des questions laissées en blanc par le projet de loi. L’affirmation retrouvée dans certains médias à l’effet que le gouvernement « serre la vis » aux compagnies gazières et pétrolières est nettement exagérée. Voir http://www.lapresse.ca/environnement/politique-verte/201607/21/01-5003105-exploitation-petroliere-quebec-serre-la-vis.php.
8 Voir les articles 3 et 111 du projet de loi.
déraillements et accidents de toute nature qui ont marqué cette filière dans les dernières années et dont le nombre n’a cessé d’augmenter.
3. De très vastes pouvoirs sont conférés au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles qui peut « convenir » de toute mesure jugée appropriée et simplement « compatible » avec les normes déjà peu contraignantes qui figurent dans le projet de loi, ce qui constitue un autre transfert des pouvoirs de l’Assemblée nationale vers un membre du Conseil des ministres9.
4. La nécessaire transparence des décisions gouvernementales, qui se traduit d’abord par un accès réel et facile à l’information, est fort malmenée dans ce projet de loi qui prévoit des délais importants avant que les citoyens ne puissent accéder aux informations relatives aux opérations des sociétés gazières et pétrolières et qui n’assure pas que lesdites sociétés ne puissent s’objecter à la divulgation des informations et renseignements qui les concernent10.
5. Les mécanismes de consultation et le nécessaire exercice de discussion et de débats démocratiques sont foulés aux pieds, puisque le gouvernement a décidé de tenir une commission parlementaire pour étudier ce projet de loi en plein été et au moment où un grand nombre de personnes sont en vacances et, ajoutant l’injure à l’outrage, il n’a invité à participer à cet exercice qu’un petit nombre d’intervenants dont une vaste majorité de personnes ou de groupes favorables au déploiement de la filière des hydrocarbures en territoire québécois. Les groupes qui représentent les citoyens et la plupart des organisations écologistes ont été écartés volontairement.
6. Le projet de loi prévoit l’irresponsabilité de l’État pour l’émission des permis (et donc pour les conséquences négatives qui peuvent en découler) en précisant qu’aucune indemnité ne peut être accordée pour la perte de
9 En droit, il existe une différence significative entre la conformité et la simple compatibilité. Être conforme à une loi c’est faire tout ce que la loi impose, alors qu’être simplement compatible c’est pouvoir faire tout ce que la loi n’interdit pas formellement. Pour des illustrations de ce pouvoir discrétionnaire exorbitant conféré au ministre voir les articles 17, 22, 29, 37, 48, 58, 104, 114, 125 du projet de loi.
10 Le projet de loi n’assure aucune prépondérance par rapport à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels qui, elle, prévoit de nombreux motifs pour lesquels une société peut s’objecter à la divulgation de renseignements qui concernent ses opérations. Voir aussi l’article 130 du projet de loi pour les délais d’accessibilité aux informations. Toutefois, eu égard aux délais accordés pour passer de la phase d’exploration à celle de production (jusqu’à 4 années) et ceux permettant le passage de la fermeture temporaire à la fermeture définitive du puits (jusqu’à 4 années), le délai d’accès à l’information dans le cas d’un forage peut s’échelonner sur une dizaine d’années.
l’usage antérieur ou postérieur du sol11. Si l’État est si convaincu de l’innocuité de la fracturation, des forages horizontaux ou du nettoyage à l’acide des puits, pourquoi tente-t-il de se mettre à l’abri des réclamations qui pourraient lui être présentées à cause de l’usage de ces techniques ?
IV. Enjeux pour les municipalités
Les municipalités sont considérées comme la portion congrue dans ce projet de loi et leurs compétences sur les conséquences de ce développement sur leur territoire se réduisent comme une peau de chagrin. Ainsi les municipalités :
1. Ne seront qu’avisées et nullement consultées lorsqu’une société gazière ou pétrolière décide de mener des activités dans leur territoire12.
2. N’auront qu’un représentant sur les comités de suivi dont le projet de loi impose la mise en place alors que l’exploitant définira seul le nombre, la composition et le choix des membres desdits comités13.
3. Ne sont pas assurées que la maximisation des retombées économiques liées à ces projets, que le gouvernement peut imposer pour des motifs dits raisonnables, leur bénéficiera réellement, puisque ces retombées doivent bénéficier au Québec et non à la municipalité dans laquelle se réalise cette exploitation14 .
4. Perdent toute compétence sur les puisements d’eau réalisés sur leur territoire, si ces puisements d’eau sont réalisés en fonction des puits gaziers et pétroliers15.
5. Voient leur schéma d’aménagement, leur règlement de zonage ou de lotissement mis en échec par les projets d’exploration, de production ou de stockage des hydrocarbures, puisque ceux-ci prévalent en regard de leur plan d’aménagement et d’urbanisme16.
6. Au total, ce sont donc les droits individuels des compagnies gazières et pétrolières et de leurs actionnaires qui l’emportent sur les droits collectifs des communautés de planifier leur développement en fonction des valeurs qui leur sont propres. C’est aussi une violation du principe de subsidiarité pourtant inscrit dans la Loi sur le développement durable.
11 Voir l’article 13 du projet de loi.
12 Voir les articles 26 et 55 du projet de loi.
13 Voir les articles 25 et 52 du projet de loi.
14 Voir l’article 53 du projet de loi.
15 Voir l’article 250 du projet de loi.
16 Voir l’article 203 du projet de loi.
V. Enjeux pour les citoyens et citoyennes
Les citoyens et citoyennes voient leurs droits secondarisés, menacés voire anéantis par plusieurs dispositions du projet de loi. En voici quelques illustrations :
1. Dans la phase d’exploration pour trouver des hydrocarbures, le projet de loi donne aux sociétés gazières et pétrolières un droit prépondérant et prioritaire d’entrer sur les terrains des citoyens et citoyennes et ne laisse aux résidants (propriétaires ou locataires) que le droit de négocier des conditions qui ne sauraient équivaloir à un refus de cette intrusion, sous peine de voir les tribunaux intervenir17.
2. Dans la phase de production des hydrocarbures, le projet de loi prévoit clairement un droit d’expropriation des propriétés des citoyens et citoyennes ne leur laissant que le droit de contester les faibles montants généralement offerts par les sociétés gazières et pétrolières, ce qui implique par ailleurs des dépenses onéreuses et des procédures longues et coûteuses pour les résidants concernés18.
3. Le projet de loi cristallise et consacre donc un droit prépondérant et prioritaire sur le sous-sol aux compagnies gazières et pétrolières par rapport au droit sur le sol (et les immeubles qui y sont érigés) des citoyens et citoyennes, et menace donc la sécurité juridique de tous les citoyens et citoyennes et leur droit pourtant garanti par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec à la libre jouissance de leurs biens.
VI. Conclusion : les sociétés pétrolières et gazières maîtres chez nous !
Les masques sont maintenant tombés et les discours ambigus et contradictoires des membres du gouvernement abandonnés ou remisés. Le projet de loi concrétise l’orientation fondamentalement favorable au développement des hydrocarbures de l’actuel gouvernement.
L’équilibre entre les droits collectifs des citoyens et des communautés et les droits individuels des sociétés gazières et pétrolières est clairement rompu et ce, en faveur des investisseurs et spéculateurs. Les pétrolières et les gazières seront dorénavant maîtres chez nous !
Et c’est par des entraves aux processus démocratiques, aux nécessaires mécanismes de consultation et de débat que ce résultat navrant est atteint.
17 Voir l’article 27 du projet de loi.
18 Voir l’article 55 du projet de loi. Même si l’exploitant doit payer 10% de la valeur de l’immeuble (telle qu’elle apparait au rôle d’évaluation) pour permettre au propriétaire de se défendre dans la négociation ou le recours aux tribunaux, cette somme est insuffisante pour rétablir un réel rapport de force. Voir l’article 56 du projet de loi.
La mobilisation citoyenne devient le seul moyen permettant de mettre en échec ce scénario et l’information le seul levier assurant cette mobilisation. C’est dans cet objectif que ce document fut rédigé.

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